Peut-on prévoir toutes les façons dont le coronavirus SARS-CoV-2 pourrait évoluer ?

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À la fin de l’année dernière, trois variants du coronavirus SARS-CoV-2 (le virus à l’origine de l’épidémie de Covid-19) se propageant rapidement ont été identifiés au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Brésil.

Plus récemment, des variants ont aussi émergé en Inde, aux États-Unis et ailleurs, suscitant l’inquiétude. L’émergence de ces variants présage-t-elle présager d’une lutte contre la pandémie qui risque de se prolonger, ou le coronavirus va-t-il bientôt manquer de marge de manœuvre évolutive et devenir un pathogène endémique plus bénin ?

Les prédictions concernant l’évolution du SARS-CoV-2, en particulier ses changements de virulence, seront toujours entachées d’incertitude. Même le plus perspicace des évolutionnistes ne peut prétendre être infaillible face aux défis posés par les mutations aléatoires de la molécule d’ARN, les routes chaotiques de transmission et de propagation du virus ou les effets des forces de sélection naturelle. Néanmoins, les concepts évolutifs désormais bien établis, associés à la multitude de données collectées sur le virus lui-même, peuvent au moins nous fournir quelques indications sur les développements les plus probables.

Une faible marge d’innovation

Le SARS-CoV-2 est passé d’un hôte animal non identifié à l’être humain. Ce faisant, il a pénétré dans un nouvel espace évolutif empli d’obstacles, de menaces, d’impasses et, très occasionnellement, d’opportunités. Il est difficile d’imaginer cet espace ou d’en prendre la mesure. En effet, il est fâcheusement multidimensionnel, et ses frontières et topographies peuvent être observées depuis de nombreux points de vue.

Une façon d’y parvenir est de commencer par considérer les limites supérieures de la diversité des séquences génomiques du coronavirus, ou les limites de son « espace mutationnel ». Le génome du SARS-CoV-2 compte 30 000 paires de bases, autrement dit 30 000 sites pouvant chacun être occupés par l’une des quatre bases composant l’ARN (adénine, cytosine, guanine et uracile). Il existe donc plus d’un quintillion (quatre à la puissance 30) de séquences génomiques possibles, ce qui équivaut à peu près à la largeur de la Voie lactée, exprimée en mètres.

Cependant cette limite, calculée de façon purement mathématique, ne tient pas compte de la biologie du coronavirus. Elle est donc totalement inutile. En effet, quasiment aucun de ces génomes hypothétiques ne pourrait produire un virus à même de fonctionner correctement, c’est-à-dire capables d’infecter des cellules et de s’y multiplier. Cette obligation fondamentale, pour les mutations qui surviennent, de maintenir la machinerie virale en parfait état de marche signifie qu’il existe des contraintes évolutives qui limitent la rapidité et l’efficacité d’adaptation du virus. C’est une bonne nouvelle.

Autre bonne nouvelle : les experts sont relativement optimistes concernant la menace que pourraient poser les mutations survenant dans le génome du coronavirus SARS-CoV-2. Cet activisme traduit le fait que l’immense majorité des mutations qui peuvent survenir ont des conséquences minimes voir nulles sur les fonctionnalités du virus. Si celui-ci peut, en théorie, explorer d’immenses étendues d’espace mutationnel, la quasi-totalité d’entre elles est incapable de donner naissance à un virus fonctionnel. Et une grande partie de celles qui restent ne serait pas à même de modifier son comportement.

Toutefois, si la plupart des mutations sont sans danger, dans cet espace mutationnel se trouvent aussi quelques microscopiques recoins (nichés eux-mêmes au cœur de microscopiques recoins…) dans lesquels des changements génomiques survenant exceptionnellement pourraient permettre au virus d’accéder à des innovations.

À quelle vitesse le SARS-CoV-2 évolue-t-il ?

Le séquençage du génome du SARS-CoV-2 nous a permis d’observer avec force détails le SARS-CoV-2 explorer son espace mutationnel. Nous savons désormais que son génome acquiert une ou deux mutations par mois en moyenne, ce qui, compte tenu de sa taille, représente un rythme de mutation environ quatre fois plus lent que celui du virus de la grippe. Ce résultat a été largement interprété comme positif. En effet, la logique veut qu’un génome plus stable offre moins de possibilités au virus d’échapper aux vaccins ou de se livrer à d’autres tours de passe-passe génétiques.

Dans ce contexte, l’émergence du variant dit « britannique » (alias « variant Kent », B.1.1.7 ou 20I/501Y.V1) a été remarquable et a donné à réfléchir. Les données de séquençage ont en effet révélé qu’il avait accumulé 23 mutations (soit l’équivalent de plusieurs années de modifications), et ce apparemment en une seule fois. La plupart de ces mutations ont peu d’importance au plan évolutif, mais d’autres sont responsables de l’augmentation du taux de transmission observé pour ce variant.

Pourquoi et comment cela s’est-il produit ? C’est au cours de leur réplication à l’intérieur d’un hôte humain que les virus mutent. Certaines de ces mutations peuvent modifier la façon dont ils interagissent avec les cellules humaines, y compris celles du système immunitaire. Il est possible que le variant dit « britannique » soit apparu chez un seul patient immunodéprimé, durant une infection de long terme. On peut par exemple imaginer qu’un traitement par plasma de convalescent (donc chargé d’anticorps), administré pendant plusieurs semaines, aurait pu permettre la sélection d’un tel variant chez un tel patient.

Des « poussées évolutives » similaires ont été observées ailleurs. Un « variant d’intérêt » récemment apparu en Tanzanie est par exemple porteur de 34 mutations distinctes. Des exemples de recombinaison, où différents génomes de SARS-CoV-2 se combinent pour former un hybride, ont également été observés. Bien que ces événements soient rares, leur importance potentielle pour l’évolution du virus ne doit pas être minimisée. Un taux de mutation moyen relativement faible ne correspond en effet pas systématiquement à un taux d’évolution bas…

Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus

La pression évolutive résultant de l’utilisation de thérapies à base d’anticorps (plasma de convalescent) a probablement constitué le déclencheur de l’émergence du variant dit « britannique ». La conséquence la plus évidente de cette évolution a été la propension accrue du variant à se transmettre plus facilement. Cela révèle qu’un même ensemble de mutations peut conférer au virus de multiples avantages, un phénomène connu sous le nom de « pléiotropie ».

Même si nous ne comprenons pas encore complètement les mécanismes biologiques impliqués, nous pouvons facilement identifier les mutations concernées à partir des données de séquences, car elles sont apparues à plusieurs reprises au cours de la pandémie. En effet, les mutations surviennent de façon « aveugle », mais celles qui confèrent un avantage sont sélectionnées par la sélection naturelle, ce qui s’est déjà produit plusieurs fois : ce mécanisme est appelé « convergence évolutive ».

Une douzaine de mutations sont concernées. Elles se retrouvent, sous diverses combinaisons, chez tous les variants. Elles modifient la protéine Spike – la partie du virus qui se lie aux cellules humaines et lui permet de les infecter. Ce faisant, ces mutations ont entraîné une augmentation du nombre d’infections, et donc de décès. On peut cependant trouver un peu de réconfort dans le fait que leur nombre semble être limité… Il faut cependant aussi garder à l’esprit que les propriétés du SARS-CoV-2 ne sont probablement pas déterminées par des mutations isolées, mais plutôt par l’interaction de plusieurs d’entre elles. Cette perspective combinatoire ouvre au coronavirus de nouvelles zones d’espace mutationnel potentiellement fructueuses…

Comprendre comment des événements rares et isolés peuvent modifier la trajectoire de la pandémie tout entière doit nous alerter sur les dangers que représente la propagation incontrôlée du SARS-CoV-2. En effet, tout comme les chances de gagner à la loterie augmentent avec le nombre de billets achetés, la probabilité que des événements évolutifs rares conduisent à l’émergence de nouveaux variants préoccupants augmente avec le nombre de personnes infectées…

En définitive, s’il est difficile de prévoir comment pourrait évoluer le SARS-CoV-2, une chose est claire : il est impératif de maintenir le nombre de cas aussi bas que possible partout dans le monde, car les nouveaux variants ne respectent aucune frontière.

Ed Feil, Professor of Microbial Evolution at The Milner Centre for Evolution, University of Bath

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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